Rupture(s)…
Il fut un temps où certaines personnes pratiquaient des séjours de « rupture ». Rupture avec la vie en couple, pour aller se retrouver soi-même ailleurs, ou rupture avec sa famille ascendante pour enfin s’affirmer en tant qu’individu singulier et autonome…
Rupture pour d’autres avec une société de consommation en allant s’installer au fin fond de l’Ariège, de la Creuse ou du Larzac, pour élever des chèvres, cultiver des petits fruits, vivre en autarcie quasi complète.
Rupture encore en partant à l’autre bout du monde réinventer une nouvelle vie, dans une autre culture, sous d’autres cieux apparus plus cléments.
Aujourd’hui, nous voici confrontés à une forme de rupture inédite : celle d’avec le mouvement.
L’obligation d’être immobiles, confinés donc, dans une confrontation à soi-même, ou à de très proches embarqués avec nous sur le même bateau…
Rupture avec toutes les formes d’échappatoires habituels, de défoulements, d’actes compensatoires. Plus de consommation effrénée, plus de déplacements, ou le minimum vital…
La baisse des accidents de la route pourrait-elle libérer des places pour des hospitalisations d’un nouveau genre, causées par on ne sait quelle calamité naturelle…
Rupture dans nos automatismes, habitudes, rituels, de notre soumission aussi à la marche du troupeau bêlant à la distribution du fourrage.
Nous avons cru que les villes pourraient être un refuge contre l’isolement, la peur d’un attaquant invisible et fantasmé…
Ors, les combats pour un paquet de nouilles ou un rouleau de papier toilette pourraient indiquer le contraire. Les loups sont bien plus civilisés que nous…
Rupture enfin des modèles de conjugalité. Où quand le couple bastion, le couple refuge devient un lieu menaçant, où la famille se transforme en espace de non-droit.
Si au terme de cette crise nos cabinets de thérapeutes conjugaux étaient investis par des partenaires témoignant avoir surmonté l’épreuve du confinement, des parents et des enfants heureux d’avoir noué de nouveaux liens plus souples, plus imaginatifs, nous ne pourrions que nous en réjouir!
Mais si, à l’instar de la Chine, où la fin de la pandémie marque une ruée vers les cabinets d’avocat pour demander le divorce (malgré des mesures médicales, organisationnelles et sanitaires à priori efficaces), l’édifice sociétal du couple, marqué du sceau du capitalisme, risque fort de basculer.
Le huit-clos des familles confinées, des couples livrés à eux-même, risquerait s’il dure de produire non seulement des ruptures, mais aussi des morts, mais surtout des mortes!
Si ce soir une femme est trouvée dans la rue, sans autorisation (par qui?) de sortie, en tentant d’échapper à la folie meurtrière de son conjoint, vers qui pourra -t-elle se tourner? A quelle porte close pourra-t-elle frapper?
L’impunité, la toute-puissance, en cette période de rupture totale, ne risque-t-elle pas de flamber si les pouvoirs publics déjà débordés ne prévoient pas des lieux de rupture du confinement au domicile, qui, s’il est conjugal, peut aussi devenir létal…
Restons en lien, ne nous confinons surtout pas dans nos individualismes confits de peur et d’ignorance, ne nous réfugions pas à nouveau dans le fameux « je ne savais pas »…